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CAHIER DE CONFINEMENT – Hippolyte Taine et le Voyage aux Pyrénées

Le 10 Mai. 2020

PresseLib’ vous propose de relire à nouveau une œuvre littéraire marquante, classique ou méconnue, en lien avec nos chers pays de l’Adour…

Même si on l’a un peu oublié, Hippolyte Taine était l’un des plus fins esprits français du XIXe. Son « Voyage aux Pyrénées », bien plus qu’un simple carnet de route, est une petite merveille.


« On voyage pour changer, non de lieu, mais d’idées » : tel était le crédo du jeune Hippolyte lorsqu’il partit séjourner deux mois dans les Pyrénées, au beau milieu de son siècle. Son flamboyant compte-rendu en fait la magnifique démonstration, entre descriptions des hommes et des paysages, croustillantes anecdotes historiques ou légendaires et réflexions très actuelles sur la notion même de voyage. Le tout agrémenté de quelques tranches de rire.

On ne refera pas la biographie de l’écrivain, historien et penseur Hippolyte Taine (1828-1893), l’auteur d’ « Origines de la France contemporaine » et d’une « Philosophie de l’art » encore très commentées, mais aussi de brillants essais historiques et littéraires assez peu étudiés.


Car il y a déjà beaucoup à dire de son seul Voyage aux Pyrénées, une œuvre de jeunesse d’une étonnante maturité, publiée en 1855, illustrée par le célèbre Gustave Doré et rééditée une vingtaine de fois en moins de 70 ans. Certes beaucoup moins par la suite, mais il en existe tout de même une récente édition (2011, François Bourin), tandis qu’une réimpression aux Éditions des régionalismes serait prévue pour ce mois de septembre.

 


Environs de Luchon

Autrement dit, on n’a pas d’excuse pour se priver d’accompagner l’esthète Hippolyte à travers les Landes, le Pays basque et le Béarn, mais aussi et surtout dans les vallées d’Ossau et de Luz, à Bagnères-de-Bigorre et à Luchon, et malheureusement jusqu’à Toulouse, où il est vrai qu’on ne quittera pas sans regret notre guide…

 


Un voyage dans l’espace-temps pyrénéen…

La littérature de voyage, très appréciée au XIXe, est un genre à part entière. Et Taine le maîtrise à la perfection, alternant soigneuses (et souvent sublimes) descriptions des paysages, des reliefs et de la nature, fines études des mœurs pyrénéennes et digressions captivantes en lien avec le passé historique et les usages des villes qu’il traverse.

En lisant son Voyage aux Pyrénées, on a parfois l’impression de suivre un digne et zélé continuateur de Balzac, dans une région où le maître lui-même n’avait jamais mis les pieds, et où l’on voit dès lors s’étendre le champ de la vaste comédie humaine…


Avec Taine, on voyage dans l’espace, en soi-même et dans le temps, et tout cela sans se prendre trop franchement au sérieux, avec pour fil conducteur un récit très inspiré (et parfois très drôle) des conditions pratiques de son périple. On pense à ce portrait hilarant qu’il brosse de son compagnon de route, ou encore à ce classement furieusement actuel des « variétés de touristes » qui se pouvaient déjà rencontrer, en ce milieu de XIXe siècle, entre Bigorre et Luchon.


On y retrouve ceux qui étudient le guide « et apprennent d’avance l’ordre et la suite des sensations qu’ils doivent rencontrer », les botanistes monomaniaques cherchant à garnir leurs herbiers ou encore les marcheurs qui comptent leurs dépenses et leurs durillons dans un journal de randonnée.

En bref, Taine sait nous divertir et nous amuser, comme lorsqu’il nous explique qu’« il est enjoint à tout être vivant et pouvant monter un cheval, un mulet, un quadrupède quelconque, de visiter Gavarnie » et qu’« à défaut d’autres bêtes, il devrait, toute honte cessant, enfourcher un âne ».


Mais l’observateur éclairé ne nous laisse rien ignorer non plus de la rudesse du théâtre grandiose qu’il explore et de l’extrême pauvreté qui y règne, évoquant la mendicité, le vol ou encore la promiscuité. Mais toujours, malgré tout, la joie des habitants de ces contrées hostiles : oui, la montagne semble bien faire le bonheur.

Un peu comme il évolue entre le fond des vallées et les cimes plus élevées, Taine passe avec aisance des petites aux grandes idées et des petits aux grands espaces, de ces trottoirs palois « en petits cailloux aigus » sur lesquels on marche comme « sur des pointes de clous » à ces gorges solitaires, près du pic de Gourzy, où « le paysage est le même qu’il y a six mille ans » et où le voyageur s’épanouit, éprouvant les sentiments les plus authentiques.


Réviser l’histoire d’ici pour la rentrée !

Pierre de Puyanne

Avec ce Voyage aux Pyrénées, on remonte aussi le temps et on révise notre histoire d’ici sans jamais s’ennuyer : qu’il nous parle de Pierre de Puyanne et du sanglant conflit entre Basques et Bayonnais, de la mort de Roland, de Charlemagne et de Roncevaux, d’Henri IV et de ses coups de main ou bien des petites querelles de préséance au temps de Mademoiselle de Montpensier, qu’il nous narre la légende du chevalier Bos de Bénac ou celle « du diable d’Orton » et du château de Coarraze, Hippolyte Taine retient aisément notre attention, nous instruit et nous change bel et bien les idées, même s’il ne s’est « cassé ni jambe ni bras », ne se s’est pas fait dévorer par les ours, n’a « sauvé aucune jeune Anglaise emportée par le Gave » et n’a « vu aucune tragédie de brigands ou de contrebandiers ». Pas mal !


On notera que l’air d’entre Bagnères et Luchon semble avoir particulièrement inspiré le jeune Taine, qui a inséré, à ce stade de son voyage, de malicieuses « Vies et opinions philosophiques d’un chat ». On a bien l’impression que l’air du pays lui a plutôt réussi !

Son ouvrage recèle beaucoup trop de surprises pour n’être réservé qu’aux seuls érudits locaux en quête de témoignages du passé. Les amoureux de la littérature et des Pyrénées ne perdront pas non plus leur temps.

 


Vallée d’Ossai

Encore en 2019, Taine fera un excellent guide touristique, de ceux qui vous éloignent des parcours balisés tout en sachant vous montrer les sites les plus courus sous un jour nouveau. Alors puisque les voyages forment la jeunesse, on vous propose les Pyrénées dans un fauteuil.

Et si ça vous plaît, Hippolyte Taine, comme avant lui Montaigne et Stendhal, a aussi en stock un non moins plaisant Voyage en Italie…


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