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Edito

Le 09 Jan. 2015

Je suis Charlie

Voilà, c’était perdu d’avance. Un combat à armes inégales : des crayons à dessin contre des Kalachnikov ; de l’intelligence face à du radicalisme assassin ; de l’humour face à des oeillères intellectuelles ; des envies de démocratie face à des sous êtres qui ne respectent pas l’intégrité humaine.

Aujourd’hui, je voudrais savoir dessiner, posséder ce talent incroyable de pouvoir, d’un coup de trait, croquer ce que nous, gribouilleurs, mettons parfois un billet d’humeur entier à raconter. Pas pour vexer, pas pour faire mal, juste pour le plus précieux des sésames : un sourire de nos lecteurs, une lueur éclairée dans leur regard.

Et je me demande comment vont faire tous ces parents, tous ces instituteurs, pour expliquer aux enfants, que faire un dessin, parfois ça peut tuer !

Il y aura un avant et un après Charlie, c’est certain. Le Canard Enchaîné parle d’un “état de choc qui est aussi un choc d’Etat”. C’est un sale attentat que celui-là et un tweet hier m’a interpellée “Charlie Hebdo – 12 morts – 66 millions de blessés”.

Mais…

PL je-suis-charlieMais le changement que je redoute va au-delà de toutes les belles manifestations que l’on voit éclore sur l’hexagone et partout sur la planète. Peut-être impalpable, peut-être sourd, mais bien réel.

Et ce changement, à prévoir, c’est lui qui doit inquiéter, davantage même que les faits en eux-mêmes, faisant l’unanimité dans le rejet, l’horreur et le dégoût qu’ils suscitent. Ce changement, c’est le fait de ne plus oser l’insolence. On bâillonne peu à peu la liberté d’expression.

Le retour de la censure. Chez Charlie, dans les interdits rédactionnels, il n’y en avait que deux : racisme et antisémitisme. Tout le reste était permis. Et que l’on adhère ou pas, que l’on cautionne ou pas, il fallait ce biais latéral d’expression.

Jacques Brel assurait, à raison que “L’humour est la forme la plus saine de lucidité”. Qui, demain, va oser ce qu’osaient des Cabu, des Tignous, des Charb’, des Wolinski ou des Honoré ? Comment combler l’absence de l’intelligence d’un Bernard Maris ? Un trou béant qui n’est pas prêt de se reboucher.

Combien de créativités vont ainsi s’autolimiter ? Je ne vais pas écrire ceci, je ne vais pas dessiner cela, je ne vais même plus oser le penser. Sait-on jamais, je pourrais en mourir.

Nous aurions tout pour être des êtres humains d’une grandeur exceptionnelle. Des cerveaux qui font l’admiration des scientifiques, un accès de plus en plus grand au savoir et à la connaissance, et ce qui nous différencie peut-être le plus des animaux : la possibilité du rire.

Et dans ce monde où tout nous est offert sur un plateau de technologies modernes, que faisons-nous ? Nos esprits reculent. La liberté d’expression, l’aspiration à la démocratie pour tous, le droit des femmes… Je ne parle même pas des sentiments aigres du petit racisme ordinaire, des “bashing” à tout-va et pour tout ou plutôt contre tout.

Peu à peu, nos esprits se laissent gangrener par la haine facile, le dénigrement systématique et stérile, et au lieu de nous grandir, ces expressions nous rabaissent. Combien faudra-t-il encore d’horreurs pour que la prise de conscience soit effective ? Pas simplement en brandissant des évidences, des solidarités d’un jour avant de retourner à nos bassesses quotidiennes ?

Aujourd’hui, il faut un soubresaut plus grand, plus haut, plus fort. Définitif. Se refuser à soi-même de tomber dans quelque forme de jugement à l’emporte-pièce, refuser de porter des oeillères, de se laisser happer à notre tour par les radicalismes, quels qu’ils soient. Pour toujours.

Ce sera difficile, parfois nous abandonnerons et retomberons dans nos pires travers, mais sur le fond, TOUS, nous devons changer.

Certains scandent “Ils voulaient mettre la France à genoux, ils l’ont mise debout”. C’est vrai. Mais pour combien de temps ? Avant que les récupérations politiques n’interviennent, avant que les polémiques ne naissent, et salissent les élans d’un peuple mondial uni autour de valeurs belles et sûres ?

Pourtant, c’est notre seule arme pour lutter contre la folie de ceux qui font parler les armes à la place des crayons à dessin, ou des ordinateurs des journalistes.

Il y a ceux qui commercialisent déjà les tee-shirts, “Je suis Charlie” et comptent faire leur beurre sur l’atrocité. Je dis NON. Et puis, j’entends de ci, de là, déjà, des phrases dangereuses : “bizarre, il y avait des Arabes dans les tués, des Arabes qui tuent des Arabes ?”, ou “C’est Charb qui était visé”, ou pire “Quand même, ils l’avaient un peu cherché, non ?”. Là, j’ai envie de hurler. NON !

Cette horreur n’a rien à voir avec la religion de l’Islam, non ce n’était pas un dessinateur qui était visé, non ils ne l’ont pas cherché. Parce que c’est la démocratie et la liberté d’expression qui étaient visées, point.

Ces autres qui ont succombé aux sirènes djiahadistes ont amputé leur coeur et atrophié leur cerveau. Charb’ leur proposait un combat à armes égales, par dessins interposés, mais c’était leur prêter une âme et un talent plus grand qu’ils ne le possédaient. Bon sang, ce n’étaient que des dessins. Un crayon et une feuille de papier, et beaucoup de talent.

Les doués ne sont plus tandis que subsiste la haine. Pitoyable. Nous ne parlons pas le même langage. Là où nous raisonnons, ils lapident des femmes. Là où nous rions, ils tuent. Là où nous pleurons, ils se réjouissent.

Alors oui, vivre debout plutôt que mourir couché, selon la volonté de Charb’, mais pas simplement pendant trois jours ou une semaine, pour toujours…

Je suis Charlie, partout dans le monde, et pour toujours.

Gracianne Hastoy

25 commentaires au sujet de cet article

  1. Moi, ce qui me choque c’est la course des médias derrière les forces spéciales pour essayer de décrocher le scoop. Il serait bien que, pour une fois, ils laissent la police travailler dans la discrétion obligatoire.

  2. Merci Gracianne…
    Je suis très triste depuis 2 jours, et je pleure, mais je n’ai et n’aurai pas de haine. Ils n’ont rien gagné sauf de plus en plus de monde qui veut réagir, sainement, en résistant à la haine qu’ils tentent d’engendrer…et je crois en l’intelligence humaine. Je m’autorise à récupérer ta conclusion parfaite:
    “Je suis Charlie partout dans le monde et pour toujours”
    Merci Gracianne…

  3. Décidément, petite sœur, tu fais honneur à la profession ;Un grand merci pour ce texte si intelligent et sensible: toi qui me fait si souvent rire, je t’accompagne aujourd’hui autant dans les larmes que dans ta réflexion…

  4. Tout à fait oui à la liberté d’expression et là je pense à Zemmour Houellebecq…Alors puisqu’on en est tous à se congratuler, aurai-je la liberté de dire que non, je ne suis pas Charlie. Etre Charlie ne veut rien dire car tout le monde ne partageait pas leur humour très limite. Ca ne m’empêche pas de saluer leur courage d’avoir bravé les menaces: Bravo Charlie. Il y avait d’autres victimes que les journalistes, une pensée pour eux please. Moi, j’attends une manifestation de masse des musulmans de France car c’est à eux de régler le problème de l’islamisme, la seule manière de ne pas être “stigmatisés” et pour nous, de ne pas faire “d’amalgame”. Pour l’instant, rien plus que les protestations de quelques imams, c’est peu

  5. Merci Gracianne pour cet édito plein de bonté et d’intelligence qui met un peu de baume sur nos blessures à vif.
    Nous avons rudement besoin de “gribouilleurs” comme vous, pour nous protéger de la barbarie.

  6. Véro a raison. C’est insupportable cette course des médias derrière cette actualité tragique. Ils donnent parfois des informations carrément fausses, et en plus des informations qui peuvent géner le travail de la police. STOP à cette course sordide et dangereuse

  7. Ce qui se passe aujourd’hui montre que l’on est rentré dans une période très difficile avec des individus qui vont agir ainsi de manière “indépendante” avec une capacité terrible de faire des massacres

  8. Sous le choc de ce qui s’est passé ces dernier jours, je me pose beaucoup de questions et réponds à une seule avec certitude ”peut on être ”normal” et approuvé le terrorisme” ? NON! les terroristes sont des MALADES et JE SUIS CONTRE TOUTE VIOLENCE ET CONTRE LE TERRORISME, mais comme l’a déjà écrit quelqu’un, cela me gène d’écrire pour mon compte ”je suis Charlie” car je ne suis pas lectrice du journal dont les écrits plus que les dessins me mettent mal à l’aise: ils me renvoient une certaine violence en pleine figure… et c’est là que j’ai des questions sans réponse: ”sous couvert de satyrisme a-t-on le droit d’écrire ”le Coran, c’est de la merde”, ce sont des mots d’une extrême violence, qui affichés peuvent être pris au 1er degré; n’y a-t-il pas des limites non pas dans l’expression mais dans la manière de la faire (Dieudonné par exemple n’a-t-il pas été interdit de spectacle parce que certains de ses propos étaient une incitation à la haine?)… Je n’ai pas de réponse ”universelle” à cette question. Alors à scander ”je suis Charlie”, il faudrait rajouter ”je suis Police Municipal, je suis épicerie cachère …” Crions plutôt haut et fort ”FIN à la VIOLENCE et au TERRORISME” sans restriction aucune !!

  9. Magnifique Gracianne !

    Allons, allons, les nouvelles ne sont pas si mauvaises. Si le terrorisme cherche à frapper le coeur de la richesse d’un pays, nous venons de découvrir que nos “tours jumelles”, à nous Français, c’était ce petit village gaulois d’une petite rue parisienne où dans une indifférence coupable, nous laissions nos “Maurice et Patapon” de la dérision rirent de nos peurs et de nos petits arrangements avec notre sens critique. Comme beaucoup de jeunes et vieux cons ( j’en suis ), je lisais chaque semaine ces corsaires de l’actualité sage qui sillonnaient les mers de nos inquiétudes avec autant de mauvaise foi que de bonne, juste pour nous rappeler que le compromis n’est pas la compromission et que la frontière entre les deux n’est gardée que par l’insolence de leurs dessins et propos. Quel bonheur également de constater que des milliers de policiers, si souvent caricaturés par Hara kiri puis Charlie, se sont comportés comme des hommes libres et efficaces pour traquer et attraper ces dingues; nous invitant à comprendre qu’ils nous protégeaient nous citoyens et qu’ils représentaient, eux aussi, les garants de la vivacité de notre démocratie, malgré les terribles deuils chez eux également.
    Alors, oui, ces hommes et femmes de Charlie étaient armés de cartouches même si elles étaient d’encre et aujourd’hui leur disparitions obligera les salauds, pour tenter d’être convaincant, à utiliser des Coran daesh contre les Caran d’ache car maintenant, les armes, même plus peur ! Allah et Bar tabac!

  10. Bel Edito; j’approuve entièrement les propos de Gracianne. Maintenant saura t-on tirer parti de cette belle réaction des Français? La liberté de la Presse , c’est aussi la liberté de résister à tous les lobbies, à l’influence excessive de l’argent de la publicité, ou du propriétaire du journal. La démocratie ce serait aussi de se débarrasser de la dictature de l’Economie Libérale et de l’emprise de la Finance internationale et des Grands Groupes sur le fonctionnement des pays et de leurs élus…

  11. Tout le monde semble se complaire de ce sursaut patriotique, moi ça me débecte, désolé. Vive la démocratie, la liberté d’expression, et vive la France, oui biensûr. J’ai hâte de voir où ça va mener, tiens. 12 mecs sont lâchement fusillés et ça révolte tout le monde, c’est bien la seule mort qui interpelle, et c’est pourtant plus rapide qu’un SDF qui crève de froid, ou des agris qui clapsent de cancer et de leucémie. Mais mieux vaux s’indigner et taper des pieds quand on menace faussement nos libertés. Elle tiens pas debout cette histoire. Je préfère revenir dessus quand tout le monde aura passé ses nerfs, et que les réels bénéfices de cette mascarade aient vu le jour, pour comprendre a qui profite vraiment ce crime.

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