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Les dits du vendredi

Le 11 Mai. 2017

Papiers d’identité(s)… de Christian Laborde (partie 2)

Qui suis-je ? Un homme de paroles. Et je me souviens d’un pays qui fut celui de la parole : Aureilhan,  dans le 65. On dira que là sont mes racines. J’ai une dent contre les racines. Je ne suis pas un arbre. La preuve : je marche. Je serais un arbre qui marche. Mieux : je suis un cerf, cet animal qui porte ses racines sur sa tête. J’ai donc des racines de ciel, un feuillage bleuté, peuplé d’oiseaux cosmopolites.


Aureilhan était pour moi un village irlandais : O’Reilhan, comme O’Driscoll ou O’Gara. Aureilhan était le pays de la parole. Les mots étaient colorés, buissonniers, à Aureilhan. Ils venaient  de partout. Soyons précis, dressons la liste !

Il y avait les mots gascons, ceux de ma grand-mère et des paysans. Des mots que ne comprennent pas les agents de la CIA. Le gascon, c’est parfait pour niquer Mickey.

Il y avait les mots espagnols des maçons. Je me souviens d’un maçon espagnol. Je le retrouvais au pied du mur. Il était aussi sec que Federico Bahamontes. Il portait un marcel, son coude était pointu comme un quignon de pain. Il maniait la truelle, la taloche avec dextérité. Pour s’encourager, il répétait des mots, toujours les mêmes : « A galopar, a galopar, hasta interrarlos en el mar… » Je me disais que c’était une contine de son pays. J’appris bien plus tard qu’il s’agissait d’un poème de Rafael Alberti.

Il y avait les mots polonais d’un sous-officier de l’armée coloniale et ceux, indochinois, de la femme jaune qu’il avait épousée à Saigon.

Il y avait les mots latins du curé disant la messe.

Il y avait les mots français de l’instituteur et du livre de lecture.

Et tous ces mots étaient des sons, des percussions. Et tous ces mots, c’était du rap. Et tous ces sons atterrissaient dans le grand chaudron de la cuisine du cochon, et tout était bon, et tout était bien. Mais l’instituteur n’appréciait guère cette cuisine verbale du cochon. Qui plus est, il prétendait que le E était… muet. Il aurait fallu dire : «  J’m’ pench’ par la p’tit’f’ntr’ ». Or, à Aureilhan, comme sur tous les chemins des villages voisins, sous le préau de toutes les écoles des villages voisins, dans tous les bistrots des villages voisins, le E se fait entendre, vit au cœur de chaque mot, fait vivre chaque phrase : « Jeu meu pencheu par la peutiteu feunetreu ». Bref mon identité est nougarienne. Je suis le poète qui fait parler les E muets.

Christian Laborde

www.christianlaborde.com

2 commentaires au sujet de cet article

  1. Je me souviens de cette humiliation quand, fraichement arrivée à Lille en quatrième, mes camarades de classe se sont moqués de moi en cours de français car j’estimais que “une” avait deux syllabes, “Lille” deux, et ainsi de suite ! Sans parler de la grammaire qui pour moi avait deux MM ou de “un” qui se prononçait avec un “U” et non un “I”. “Un, deux trois” ! Pas “In, deux trois” !!!
    Peut-être aurais-je du agir comme ma petite soeur qui, du haut de ses 7 ans, surprise en train de dire “au r’voir” à ses copines à la fin de sa première demi-journée d’école, a répliqué à ma mère : “après tout, comme on ne sait pas pour combien de temps on en a, autant s’y mettre tout de suite”.
    Quarante ans plus, je prends toujours un malin plaisir à dire “allo, mamAn !”, avec la bouche bien ouverte !

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