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Les dits du vendredi

Le 26 Mai. 2017

Papier d’identité(s)… de Christian Laborde (fin)

Qui suis-je ? Un homme de paroles. Et je me souviens de  l’école d’Aureilhan, des paroles de mes camarades. Chaque fois que je franchissais le portail, ils entonnaient la même rengaine, leur slam à eux : « Laborde-qui-déborde, Laborde-qui-déborde.. »


Miguel Torga

Leurs mots railleurs ne me blessaient aucunement : je  les prenais au pied de la lettre. Je débordais, ce qui est l’apanage des rivières. Et aujourd’hui à la question – toujours la même ! – posée par les procureurs : « de quel bord êtes-vous ? », je réponds : «  Je ne suis pas un bord : je suis la rivière. »

Je suis la rivière, et je suis une vache, car  je prends volontiers l’identité de mon voisin. Et le premier voisin à Aureilhan, c’était la vache. Elles marchaient d’un pas lent, lâchant dans les rues des bouses qu’écrasait, avec les pneus à flancs blancs de sa Cadillac, Yvette Horner.

Qui suis-je ? Je suis le pas lent de la vache. La vache prend son temps. C’est un ruminant. L’instituteur nous répétait volontiers que la vache dispose  de quatre estomacs : la panse, le bonnet, le feuillet, la caillette. Nous en oublions toujours un ou deux en route dans nos devoirs. Afin que nous les retinssions tous, l’instituteur avait mis au point une sagaie  sonore, une phrase cadencée, conçue pour nous aider, un truc mnémotechnique à souhait, son slam à lui : « Quand je panse à mon bonnet je feuillette mon cahier. »

Quatre estomacs, oui, car la vache ne rumine pas seulement l’herbe : elle rumine aussi le temps. Elle m’invite à faire comme elle, à ruminer, à prendre le temps, bref, à laisser la pensée éclore, la rêverie m’envahir.

Aujourd’hui, nous perdons le temps de vue, et ne disposons que de journées pré-découpées, jetables : journée de l’amitié, de la paix,  du sushi, du salsifis frit, de l’esbroufe, de la touffe, du covoiturage, de l’ensilage, des panneaux solaires, des minoritaires, de la meuf, de la teuf… » Donnons un coup de corne dans tout ça, tournons le dos aux agendas. Et le temps de nouveau est là…

Tels sont les lolos que j’ai lapés,  les poupous que j’ai tétés. Tout cela vient d’Aureilhan, du terroir, me dit-on. Je ne goûte guère le mot terroir qui rime avec mouroir. Trop de terroir m’enterre, le manque de terre me tue.

Donc la terre, oui, mais ouverte. J’ai lu Miguel Torga : « L’universel, c’est le local moins les murs ».

Christian Laborde
www.christianlaborde.com

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