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Feuilleton de l’été – Enfin le Tibet, jour 13

Le 30 Juil. 2018

Lhassa, il était une fois le Barkhor et le Jokhang…

« Celui qui voyage sans rencontrer l’autre ne voyage pas, il se déplace » (Alexandra David-Néel)


Jokhang, entrée

Après une bonne nuit de sommeil, on s’était mieux habitués à l’altitude et l’on était prêt à entrer dans le vif du sujet, le vif du Tibet. On ne fut pas déçus, car dès le premier matin, on prit la direction du centre de Lhassa, avec les visites du Barkhor et du Jokhang.

Autour du Jokhang, se succèdent trois cercles sacrés. L’anneau intérieur ou namkor, entoure le temple du bouddha sans sortir de son enceinte. En faire le tour, en marchant ou en se prosternant est un moment essentiel du pèlerinage. Les cylindres que font tourner les pèlerins se nomment des « moulins à prière ». A l’intérieur, sont enfermés des mantras et des louanges bouddhistes, et chaque fois qu’ils tournent, c’est comme si on priait. Il y en a aussi des portatifs que les pèlerins font tourner sans cesse de façon à améliorer leur karma. A l’extérieur, brûlent en permanence d’énormes fours en forme de cônes, d’encens, que les dévots tibétains alimentent sur leur passage. Ils sont quatre, postés aux quatre coins cardinaux. Nous sommes dans le second anneau sacré de Lhassa. Le plus fameux de tous. Le Barkhor. C’est le centre de la ville. La place majeure de Lhassa.


Barkhor, échoppe

Du lever du jour, quand les échoppes sont encore fermées, les pèlerins commencent à le parcourir. Car, pour les habitants du Toit du Monde, tourner autour du Jokhang est la forme la plus intense et sacrée d’accumuler du mérite. Mais lorsque le Barkhor s’anime, il montre un autre visage. Du spirituel au profane.

Autour du Barkhor, depuis des siècles, profitant du trafic des pèlerins, tourne la vie sociale et culturelle de Lhassa. De la fascination que durent ressentir les voyageurs du passé à la nôtre, doit être différente la notion de « contraste », dans la façon de coexister de la Lhassa moderne et de la Lhassa d’antan. Grand bazar de l’Asie centrale, la diversité de marchandises proposées sur le marché de Lhassa a toujours appelé l’attention des visiteurs. Cela surprit même Heinrich Harrer, l’auteur de « Sept ans au Tibet » quand il arriva au Barkhor en 1945 et trouva, sur le marché, des produits venus de l’étranger : du beurre d’Australie, du scotch-whisky, etc. On trouve de tout ici. Des gigantesques trompes rituelles, des lampes à beurre, des bols d’offrandes jusqu’à des médailles à l’effigie de… Mao Tsé Toung !

Encore que les Tibétains n’achètent, eux, que les produits de première nécessité. Des vêtements jusqu’à un produit qu’ils consomment en masse : la jaune graisse de yak ! Tout au long du jour, pèlerins et commerçants se mêlent à l’intérieur du Barkhor, sans aucun problème. Mais attention au sens de la marche ! Au Tibet, les lieux sacrés se contournent TOUJOURS dans le sens des aiguilles d’une montre.


Au coucher du soleil, les échoppes se ferment. Les vendeurs rangent leurs marchandises, et le Barkhor cesse d’être un marché. Mais sans perdre sa condition de centre civique. Centre, lieux de rencontre des habitants de Lhassa, endroit où ont eurent lieu tous les événements historiques de la ville. Si le Barkhor d’autrefois était aussi bigarré que celui d’aujourd’hui, si l’on y célébrait les festivités du Losar, l’an nouveau tibétain, ou les cérémonies religieuses, ce fut aussi le lieu tragique où, lors de la rébellion anti-Chine de 1959, il demeura le dernier point de résistance des insurgés. Plus récemment, dans les années 80, c’est aussi ici que la vague indépendantiste trouva le lieu de son expression, se soldant par une centaine de morts et la déclaration de la Loi Martiale pour le Tibet. Des faits difficiles à remémorer par un paisible et ensoleillé jour de juin… Ce qui appelle le plus l’attention, ce sont les exubérants costumes festifs des nomades. Ou les coiffes rouges caractéristiques des Khampas de l’Est du Tibet qui réussit à résister, grâce à une guérilla, à l’invasion chinoise plus longtemps que ses frères.


En 1924, la française Alexandra David-Néel fut la première femme occidentale à entrer à Lhassa. Elle était déjà âgée de 56 ans et c’était la cinquième fois qu’elle essayait. Pour tromper la vigilance des jaloux moines, elle voyagea seule ou presque, uniquement accompagnée du lama Yongden, son fils adoptif, se faisant passer pour une mendiante tibétaine. Durant les quatre mois que dura son voyage, elle devait chaque jour noircir son teint de peau et ses cheveux avec de l’encre de Chine.

De son côté, Heinrich Harrer a tardé plus de deux ans à atteindre Lhassa. « Nous sommes entrés dans la cité interdite à la tombée de la nuit, et personne ne voulait nous loger. Nous leur faisions peur parce que les lois en vigueur établissaient qu’aucun étranger ne pouvait entrer à Lhassa et que tous les tibétains devaient collaborer pour empêcher que cela arrive. » Heinrich Harrer vécut durant cinq ans à Lhassa. Ses photographies sont un véritable travail d’archives de la Lhassa interdite de l’époque, de la théocratie bouddhiste d’alors, et de l’enfant qu’était le Dalaï-lama (Voldemort !). Un monde auquel il dit adieu en 1950 quand arrivèrent les troupes chinoises.


Mais la capitale du Tibet n’a pas seulement attiré les étrangers depuis des siècles, mais aussi et surtout les tibétains eux-mêmes. Lhassa est la ville sainte du bouddhisme. La capitale religieuse de toute l’Asie centrale. Et de tous les recoins du Tibet jusqu’à elle, se sont toujours dirigés les pèlerins. On les rencontre encore sur les chemins. Peu importe combien de temps durera le voyage. Peu importent les rigueurs du climat. Ils peuvent parcourir les chemins pendant des semaines, des mois, parfois même des années. Trois pas, une prostration. C’est de cette façon qu’ils feront tout leur pèlerinage, preuve maximale de leur foi religieuse. Avançant et se prosternant encore et encore, avec leurs maigres biens sur le dos. La façon d’accumuler du karma positif pour s’assurer d’une bonne prochaine réincarnation. Comme êtres humains. Et si possible comme moines, comme prient le bouddha depuis plusieurs siècles les hommes et femmes du Tibet. Habitants du Toit du Monde. Elle eut une pensée pour le pèlerin qui l’avait tant bouleversée à Wutaishan, il y a quelques jours à peine, il y a déjà une vie…


Durant tout le 19è siècle, les lamas qui gouvernaient le Toit du monde empêchèrent jalousement l’entrée de leur ville sainte à tout étranger. Ceux qui sont finalement entrés étaient des soldats : une expédition militaire envoyée d’Inde par l’empire britannique, et sous le commandement du colonel Francis Younghusband. Le but était d’obliger les orgueilleux lamas à ouvrir leur cité au commerce extérieur. Avec les britanniques du moins. C’était en l’an 1904. A partir de ce moment, plusieurs expéditions, britanniques, se succédèrent au Tibet. En Europe, Lhassa se convertit en un mythe. On publia des dizaines de livres sur elle. Tous rêvaient de la cité interdite.

En tibétain, Lhassa signifie « la terre des dieux ». Située au centre du Tibet, à 3.600 mètres d’altitude, dans une fertile vallée entourée de montagnes, longée par la rivière Kyi, qui coule sur 315 km au travers de montagnes de 5.000 mètres, dont le Chakpori, montagne sacrée, avant de se jeter dans le Brahmapoutre.


Les premiers voyageurs la surnommèrent « la Mecque du bouddhisme ». Capitale religieuse certes du Tibet mais aussi de toute l’Asie centrale. Sa position semble destinée à surprendre le voyageur qui s’y aventure. Pendant des mois, les pèlerins rêvent du moment où ils la découvriront, et cependant, les montagnes la conservent cachée jusqu’au dernier moment. Jusqu’à ce que, soudain, apparaisse le Potala (qu’ils visiteraient le lendemain, patience). Le palais des dalaï-lamas.

Mais aussi éblouissant que soit le Potala, il n’est pas le véritable centre d’intérêt de la cité sainte. Le vrai sanctuaire, le lieu le plus sacré du Tibet, le centre de la religion lamaïste, est beaucoup plus discret : le Jokhang. La cathédrale de Lhassa. C’est là que, depuis des siècles, se dirigent les pèlerins. Certains ne cachèrent pas leur déception à découvrir que le monument dont ils avaient entendu parler comme incroyable n’abritait qu’un bâtiment misérable, enfermé dans un dédale de rues étroites. On dirait vraiment que les constructeurs du Jokhang, au VIIème siècle, n’avaient aucun désir d’impressionner le visiteur. Peut-être ne voulaient-ils pas appeler l’attention des infidèles étrangers ! Car pour abriter leur foi intense, les tibétains ne demandent pas plus de grandeur au Jokhang.


Et ce temple est la vraie raison d’être de Lhassa. Autour de lui s’est construite la ville pour abriter les pèlerins qui arrivaient des confins de tout le pays, et de plus loin encore, tous les pays frontaliers du Tibet, bouddhistes aussi. Y compris de Mongolie et de Sibérie. On ne peut éviter de penser aux centaines, centaines de mille, milliers de personnes qui, au fil des siècles, se sont prostrées ici.

Mais le véritable trésor du Jokhang, son essence de sanctuaire se trouve à l’intérieur. Pour le contempler, il faut commencer à habituer ses yeux. Ici, l’unique lumière, comme dans tous les monastères tibétains, sont les petites lampes à beurre rance de yak et leur pénétrante odeur. Le vertige du temps qui passe les assaille à nouveau. Combien de lampes ont été ainsi allumées par les pèlerins siècle après siècle ?

Au Jokhang, depuis plus de 1.300 ans, réside la relique la plus sacrée du lamaïsme, dans ce temple qui signifie « la maison du Seigneur », pour laquelle on a construit cette demeure. La statue du Jowo Shakyamuni. La sensation de foi qui règne au Jokhang n’a pas d’équivalent dans un autre monastère ou temple du Tibet. Et cette statue est le centre de toute cette dévotion, ployant sous les offrandes et khatas, écharpes de soie blanche.


On dit que c’est à la moitié du VIIème siècle qu’est arrivé la statue, de Chine, cadeau d’un empereur au premier roi du Tibet, Songtsen Gampo. Mais la légende remonte plus loin, quand un roi de l’Inde offrit la statue à un empereur chinois ou plus loin encore, aux temps où vécut le bouddha historique, Siddharta Gautama. Quand un artiste de l’époque réussit à sculpter le portrait du véritable bouddha lui-même. De l’Inde à la Chine et de la Chine au Tibet. Une statue du jeune bouddha, quand il ne l’était pas encore, qu’il n’avait pas atteint l’illumination, à peine âgé de 16 ans (les avis différent sur son âge, d’aucuns disent 12 ans, d’autres 9, mais de ce qu’elle vit, c’était plutôt la représentation d’un bouddha adolescent, pas encore bouddha donc). Une image inusuelle dans l’iconographie tibétaine, une image parfaitement conservée, parfaitement restaurée, au point qu’il est difficile de se rappeler qu’elle fut décapitée pendant la Révolution culturelle dont même le plus sacré temple tibétain ne parvint à échapper.


Dans la cellule de l’abbé du Jokhang, la présence de leur « maestro » et tibétologue permet d’être reçus en audience personnelle, et même de caresser les chats des lieux. C’est aussi là qu’ils boivent leur premier thé salé au beurre. Heureusement, leur maestro les prévient à temps : « ne pensez pas que vous buvez du thé, imaginez que vous mangez une soupe américaine Campbell » Le conseil est judicieux. Du coup, c’est presque bon. Il faut au moins ça pour se remettre. Car, pour elle, la rencontre avec le Jowo, vient d’être sa première immense émotion.

Elle est en larmes. Tiraillée, piétinée, malmenée par les dizaines (les centaines ?) de pèlerins, elle se souviendra longtemps de ce vieil homme tibétain qui lui a tendu la main, tout sourire, avec un regard de la plus intense des bontés, l’a aidée à se frayer un chemin jusqu’à la statue sacrée. Quand elle s’est retournée pour le remercier, il avait disparu… Dans cette foule intense et compacte ? Quand il est inenvisageable de se mouvoir de dix petits centimètres sans être réduit en bouillie ? Comment est-ce possible ? On raconte qu’il se passe toujours des choses bizarres au Tibet, elle vient d’en faire l’expérience pour la première fois. Et pas la dernière…

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Diaporama Barkhor 1


Diaporama Barkhor 2


Diaporama Jokhang 1

 


Diaporama Jokhang 2

 

2 commentaires au sujet de cet article

  1. Puedo leer francés, pero no escribir. Me parece una excelente trabajo, me encanta la redacción y la selección de fotografías. Un trabajo hecho con el corazón de quien tiene el mas grande, amable, alegre y sincero.

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