La France est parfois le pays des paradoxes. Par exemple, c’est le pays du “bon français” et l’on s’acharne à maltraiter la langue, à faire des fautes d’orthographe toujours plus nombreuses. Mais c’est aussi le pays où la langue compte plus de 100.000 mots, et où, malgré cela, on en invente chaque jour. Et des pas beaux, en outre. Va comprendre, Charles.
Allez, petit tour d’horizon des mots qui n’existent pas, que vous ne trouverez dans aucun dictionnaire, et que pourtant, on utilise allègrement… Finissant même par exister et être intégrés par la Gagadémie française, boh, tout fout le camp !
Les nominés sont…
Eh ouais, it’s not french ! On dit les “nommés”, nominee est un mot anglais que nous avons certainement beaucoup aimé, du genre “whaou, trop la classe, nominés, on se le récupère, dis ? Allez va, steuplait, c’est trop coollllll !” Donc, à la prochaine cérémonie des acteurs so famous, merci de dire : “Les nommés sont :…” On parie que personne ne va oser ? (Ça doit être because ils lisent pas les billets de PresseLib’, pauvres d’eux…)
Fuitera ou fuitera pas ?
Celui-là, les journalistes l’adorent : “cette information a fuité des services de l’État”… Donc on reprend, en bon français : vous pourrez affirmer qu’il y a eu une fuite, certes, mais les copines filles, arrêtez de dire : “mon tampon a fuité”. En plus, c’est un tantinet trop évocateur, si tu vois ce que je veux dire, hum…
Chronophage
Si le terme n’existe pas dans la langue française et n’est que l’alliance des deux termes grecs chrono et phage, au moins il est utile puisqu’il n’existe pas d’autre mot chez Molière pour décrire une activité qui, littéralement, mange le temps. Donc c’est un mot qui n’existait pas (on n’en avait peut-être pas besoin), et qui existe désormais (on en a tellement besoin). C’est un de ces mots qui, par conséquent, te rappelle qu’on n’a pas vraiment évolué vers le meilleur… Un mot triste, un mot qui fait pleurer, un mot dévastateur. Bouh, on peut pas revenir en arrière, t’es sûr ?
Candidater
Ah celui-là, à la moindre approche d’élections, on y a droit ! C’est un peu comme dire qu’on “avocate” ou qu’on “lauréate”. Si toi yen a vouloir parler la France, toi yen a préférera dire “postuler”, “être candidat à…”, “briguer” ou “poser sa candidature”. Toi yen a compris ou moi yen a devoir te candidater comme tête à claques ?
Procrastinateur
Voilà, le correcteur orthographique s’énerve et voit rouge, ce qui est normal puisque le mot n’existe pas. En contrepartie, tu pourras toujours remplacer par : “Grosse feignasse à tendance larve qui préfère mater un film débile à la téloche en bouffant des saloperies plutôt que de réparer la machine à laver”. Mais chez l’orthophoniste, “procrastinateur”, c’est un bon entraînement à la diction. Tu vois, rien n’est inutile en ce bas monde…
Abracadabrantesque
Non, ce n’est pas à Jacques Chirac que l’on doit ce mot, même s’il l’a un jour utilisé, mais bien à Arthur Rimbaud, qui l’a “inventé” pour son poème “Le coeur supplicié”. Et dans “inventer”, il y a… Euh, inventer. Donc ça n’existe pas. En revanche, maintenant que vous connaissez cette éminente précision, le mot restera une valeur sûre dans les dîners mondains, histoire de vous la péter !
Confusant
Et voilà ! Encore un coup des rosbeefs qui nous mettent le vocabulaire à l’envers avec leur fieffé “confusing”, mais on a beau téléphoner à Bernard (Pivot), chercher dans tous les dicos français possibles, pas l’ombre d’un verbe “confuser”… Ouais, c’est triste, mais bon… C’est comme ça…
Générer
Et rebelote. From english “to generate”. Faudrait voir d’arrêter de tout copier. Des mecs capables de bouffer du poulet bouilli avec une sauce à la menthe ne peuvent pas avoir bon goût en matière de création de mots, capito ? Et c’est la Gagadémie française qui le dit. Et préfère les mots “engendrer”, “produire”, ou “causer”. Attention, si tu fais pas gaffe, ça pourrait rapidement générer des claques !
Dangerosité
Mais d’où ça sort, ça ? Et puis d’abord c’est moche. Très moche. Sans compter que ça veut pas dire grand-chose. Alors on oublie, et plus vite que ça, sinon tu pourrais tâter de la dangerosité de mon agacement, urgemment (nouveau mot inventé à la mode).
Solutionner
Attends, les mecs de la Gagadémie française toujours, admettent que le mot a été inventé pour se substituer à “résoudre” parce que personne ne savait correctement conjuguer “je résous, tu résous, il résout, nous résolvons, vous résolvez, ils résolvent”… Alors pratique, hop, que je te solutionne à tout va. Eh bien, non, non, et non ! C’est pas une résou… une réso… enfin, une solution quoi…
Gratifiant
Eh ouais, c’est pas gratifiant du tout ! Gratifier, oui ; gratifiant, non ! Alors plutôt que de passer pour un neuneu, ce qui n’est pas gratifiant dans les dîners de madame Michu, tu diras “valorisant” !
Inatteignable
Ah, rajouter un préfixe “in” devant un mot qui existe pour en faire un qui n’existe pas. Mais inatteignable, c’est moche, très moche, et inutile puisque il existe “inaccessible”, banane !
Mais en fait, la conclusion a tout cela, c’est qu’une langue qui bouge, qui se modifie, qui invente de nouveaux mots, est une langue vivante. Boris Vian adorait inventer de nouveaux mots, et bien d’autres avant et après lui. On se souviendra de son “emmerbétant” que j’utilise souvent et avec jubilation. Sans oublier que “pantagruélique” n’existait pas au départ et est bien pratique aujourd’hui. Surtout pour qualifier les repas de mémé…
Alors hormis contre-indication auditive (certaines inventions sont vraiment trop moches pour nos pauvres oreilles délicates), allez-y, continuez d’inventer, c’est aussi une façon d’aimer sa langue et de l’enrichir…
Mais bon, moi, je dis ça, je dis rien…
Gracianne Hastoy
Excellent pour le style et la culture.
Que serait-on sans les mots inventés ou pas de Gracianne le lundi ? Moins souriant et moins cultivés, c’est sur !
Anglaise d’origine, j’apprends beaucoup avec Gracianne!
un article jubilatoire ! Merci Presselib.