1 – Le soleil s’est levé : moi aussi. Il commence son ascension sur un petit braquet. Le mien l’est tout autant : pédaler, oui, mais en dedans. L’église de saint-Vincent l’est aussi. Quelle heure est-il ? Je lève les yeux vers le clocher mais, au lieu de lire la réponse que me propose le cadran, je murmure les mots suivants :
« Il est six heures au clocher de l’église
Dans le square les fleurs poétisent…
Je reviens par le train de nuit… »
Les mots que je murmure sont de Christophe. « Les mots bleus ». Il n’ y a pas de square à Saint-Vincent, et ce qui « poétise », ici, c’est la route Saint-Vincent-Montaut. Une route délicieusement étroite, bordée, par endroits, de taillis et d’arbres penchés, maternels, compatissants. Des animaux aussi, notamment un âne. Je pédale en songeant à Francis Jammes. La route Saint-Vincent-Montaut « poétise » vraiment.
2
Sur la route entre Saint-Pée-de-Bigorre et Peyrouse, dans l’herbe du bas-côté , à hauteur d’un camping, dressé sur ses pieds, dans un cadre en bois vernis, un tableau noir, pareil à ceux des écoles de jadis, sur lequel on peut lire, écrit à la craie, la phrase indépendante suivante : « Le bar est ouvert ». Elle nous rappelle que nous sommes bel et bien en France et que tout n’est pas perdu.
3
La côte de Peyrouse est l’une de celles que je préfère, avec celle de Bartrès qui m’attend : on se croirait en montagne. La côte de Peyrouse, avec son goudron granuleux, les piquets en bois qui la bordent, avec ses pourcentages qui changent, a tout d’un col, d’un petit col modeste.
Au sommet, une belette me précède. Elle traverse, la route, me regarde, puis disparaît dans le taillis. Il n’y a pas de passage clouté pour belettes au sommet de la côte de Peyrouse. Ce n’est pas nécessaire : comme le stipule un article du code rural, les belettes sont prioritaires sur la totalité du réseau secondaire.
4
Dans une portion de la côte de Bartrès que les arbres protègent encore du soleil qui naît, une limace orange, luisante de rosée, traverse la chaussée. Elle prend son temps. Et moi, le mien.
5
La côte de Bartrès encore, le sommet arrive. Un lièvre sort tout à coup de l’herbe que je longe, juste devant ma roue. Il me regarde et attaque, s’échappe. Je ne réponds pas : c’est Pantani.
6
Je roule vers Ossun au cœur de la lande dite « mourine », la lande des Maures. Des Maures qui auraient assiégé Lourdes avant de prendre une raclée entre Ossun et Adé… C’est ce que l’on raconte. Ce serait une « légende sans fondement rigoureux », écrivent Jacques Longuet et Christian Crabot dans leur ouvrage « Passeport pour la Bigorre », paru au siècle dernier chez Marrimpouey, à Pau.
Sur la lande mourine, j’avise un panneau : « Pyrénées, Cap-Aéro ». Une lettre a sauté : un P en l’occurrence. Le panneau, au départ, disait : « Pyrénées, Cap-Apéro ». Certains s’étonneront qu’une telle rêverie puisse traverser l’esprit d’un cycliste. Mais vélo et apéro vont de pair.
Le Belge Jules Masselis qui, en 1911, remporte l’étape Dunkerque-Longwy- du Tour de France, « boisson hygiénique »sur son vélo Alcyon, remplit volontiers son bidon de Byrrh-citron, apéritif à base de quinquina, « boisson hygiénique » mis au point en 1866 par Simon Violet. Je vais prendre la direction d’Ossun, entrer dans un café, commander un Byrrh-citron. Et la remontée sur le plateau de Ger, je vais l’avaler, façon Jules Masselis.
Christian Laborde