Je saute dans mon cuissard, puis sur la selle de mon vélo, et me voici, à la coulette, sur le goudron pas très bon d’Idron. J’ai forgé l’expression à la coulette, selon ma fantaisie, à partir de l’omniprésent mot anglais cool.
Au lieu de pester, à la manière d’un gardien du temple verbal un peu largué, contre l’arrivée massive de mots anglais dans le patois français, je préfère m’emparer de ces derniers dès leur arrivée dans nos conversations, et les cuisiner selon mon goût. Je les cuisine, les assaisonne, les pare, les prépare, les sers. Il n’ y a plus qu’à les déguster, quand l’envie vient, quand elle est là, à la coulette en quelque sorte.
A la coulette donc, sur une route gorgée d’ombre, que n’emprunte aucun 4×4. Il y a quelques années encore, les 4×4 béarnais étaient dotés de pare-buffles. Si le chauffeur de 4×4 s’est toujours moqué du cycliste qu’il frôle et manque chaque fois de faire tomber, il a longtemps redouté le buffle, prompt, en Béarn, à lui couper la route et à démolir sa carrosserie. Le buffle a peu à peu disparu de la plaine de Nay à cause du réchauffement climatique, et le pare-buffles avec lui.
Idron, Lee, Artigueloutan, je roule en dedans, dix bornes durant, en contre-bas de cette bonne vieille nationale 117 qui depuis quelques années a changé de statut et de nom. Elle ne joue plus en première division, la 117, mais en seconde désormais. Elle n’est plus nationale, elle est départementale. Elle s’appelle aujourd’hui la départementale 817 jusqu’à Saint-Martory, puis, la Garonne franchie, devient la départementale 117. Les voitures lui préfèrent l’ A64, et c’est tant mieux pour les cyclistes. Première ou seconde division, nationale ou départementale : qu’importe ! Elle demeure cette longue écharpe de goudron qui se déroule, au pied des Pyrénées, pendant 440 bornes, de Bayonne à Perpignan.
Cette bonne vieille 117, je la retrouve et la coupe à Artigueloutan pour rejoindre Andoins et monter sur le plateau de Ger, parcouru de routes délicieuses. Je roule sur un pont qui enjambe, non une rivière, mais l’A64. Je regarde en contrebas. Caisses, camions, tous sont à fond. Ce sont des gens sérieux, pressés.
Moi je ne suis pas pressé, récalcitrant au sprint, absent du trafic. Je ne suis pas sérieux, je songe à des choses futiles en roulant, aux noms gascons de la brume. Elle change de densité, de couleur, d’une route à l’autre, sur le Plateau de Ger. Et la langue gasconne tient compte de chacune de ses métamorphoses, parlant tantôt de « brumèi », de « brumach », tantôt de brumashère, de « brumadèra ». Je me souviens de mots gascons en roulant sur le 17 dents, et j’ai envie d’une chocolatine. On n’est pas sérieux quand on a 17 dents.
Christian Laborde
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