Calakmul ou Kalakmul selon l’orthographe autorisée. Là, ça ne plaisante plus avec la jungle. Nous sommes, à vol d’oiseau, à quelques kilomètres de la frontière du Guatemala (35 exactement). Et on n’entre pas ici comme dans un moulin à particules fines.
Toute la périphérie, sur cent kilomètres environ, est décrétée “Aire naturelle protégée”. Cela signifie qu’on ne voit plus une seule station d’essence, ni la moindre installation industrielle à des kilomètres à la ronde. Ensuite, tu rentres dans la biosphère. Là, plus d’hôtels, plus de resto, sur vingt kilomètres. Et une route qui prend des allures de piste de bout du monde.
Et…
Coba et moi avons décidé de dormir dans la voiture au bout de ces vingt kilomètres, histoire de se placer à l’entrée de la réserve pure et dure. J’ai adoré ce moment de pure brousse, de pure sauvagerie sans plus une once de civilisation, que les discussions lointaines et les rires des indigènes qui travaillent sur le site. Une solitude qui n’a rien de pesant. Une solitude originelle. Qui fait mesurer l’inconfort que provoquent les bruits permanents de notre civilisation.
Ici, le silence n’est pas, grâce aux oiseaux tropicaux, aux feuilles qui bruissent. Pas l’ombre d’une télévision, d’un téléphone portable, aucun bruit de la modernité. Une vraie cure de zénitude absolue.
À 7 heures du mat, on entrait là où je voulais marcher à l’origine : 40 kilomètres de pure jungle sauvage, où les animaux n’ont pas peur puisqu’ils n’ont jamais été chassés par l’homme, où c’est leur habitat d’abord, et le nôtre ensuite. Des bruits, des odeurs, des sensations presque primitives t’étreignent. Tu fais un bond dans le temps, dans les siècles en arrière. Tu te crois un Maya, habitant de la cité qui s’appelait alors Ox Te’ tuun (prononcer “ochtétououn”).
Ici, c’était le royaume du Serpent (le Kaan en Maya). Et les plus sérieux rivaux de Tikal (Guatemala). Pacifiques les Mayas ? Erreur, fatale erreur. Ils passaient leur temps à batailler pour asseoir leur pouvoir et leur puissance. Et à cette guéguerre, contrairement à ce que l’on pourrait penser, c’est Calakmul qui est sortie gagnante à de nombreuses reprises sur sa voisine guatémaltèque (à l’époque, les frontières géographiques actuelles n’existaient pas, on parlait de royaumes des Basses-Terres ou des Hautes-Terres). Il a fallu attendre 1931 et une exploration aérienne de Cyrus Longworth Lundell pour que Calakmul soit redécouverte.
Oui les pyramides y sont belles, oui le site est majestueux. Sauf que le temple le plus célèbre, celui dont les photos le montrent émergeant de la jungle, à 45 mètres de haut, celui-là n’est pas accessible, car on fouille encore, on fouille encore…
Ici, tu te sens un peu comme Indiana Jones, venant de découvrir une cité perdue, encore mangée par la jungle qui l’avait soigneusement engloutie jusqu’à présent. Mais aujourd’hui, c’est autre chose qui a provoqué le choc. Déjà ce matin, treck ou pas, les animaux (de gros faisans ? Je cherche toujours un ornithologue sérieux pouvant m’accompagner dans mes périples, merci !) venaient sur la route de la réserve picorer, se balader, quasiment sous mon nez (et la truffe intéressée de Coba le chien). Un écureuil ici, et une petite pluie fine par là. J’entre enfin sur le site archéologique, et j’erre à travers ce dédale de temples, en pleine jungle (oui, j’ai mis du répulsif moustique, pour qu’un moustique ne vienne pas me piquer et trimballer la dengue à d’autres personnes !).
Je sais déjà que la biosphère de Calakmul (avec celle de Sian Ka’an dont je t’ai parlé à Tulum) est le dernier endroit où les jaguars sont protégés. Partout des panneaux annoncent leur présence, ainsi que celle d’ocelots, de tigres, de singes araignée, de toucans… Je ne sais pas mais ces panneaux, ça te met en condition. Donc, lorsqu’au détour d’un temple, cherchant abri sous un arbre, parce qu’il pleuvait, j’ai entendu un bruit rauque, je me suis dit : “Oh bou diou, Laya, tu y es, le jaguar (balam, en maya) est là ! L’un de tes plus grands rêves va se réaliser, tu vas voir un “balam” en liberté.”
Plus exactement, le bruit était celui d’un jaguar (comme une toux rauque) prêt à affronter un sanglier (un grognement porcin). La jungle ne semblait plus abriter que ce bruit là, avec la pluie fine sur les feuilles, et quelques oiseaux pas apeurés par la scène qui se tramait sous mes… oreilles. J’ai évidemment dégainé mon appareil, prête à immortaliser la scène, et j’ai mis l’enregistreur en route pour te faire partager (vidéo ci-dessous). Partager ma trouille aussi, pour être parfaitement exacte et sincère, parce que vois-tu, ça fait drôle cette affaire. Surtout que, comme d’hab, avec ma manie de vouloir être seule sur les sites, y avait pas un chat, sauf deux pauvres Gringos croisés plus avant, et qui avaient eu l’idée saugrenue de disparaître de ma vue…
Le bruit ne cessait pas. Il me semblait même qu’il s’amplifiait méchamment. Soudain, alors que je tentais de repérer du mouvement dans les fourrés d’où provenait le son, je me suis aperçue que les cris venaient… du ciel. C’est là que j’ai levé la tête, et vu ce qui provoquait ce ramdam. J’ai éclaté de rire.
Des dizaines de singes s’amusaient à reproduire leur environnement sonore familier, c’était saisissant de réalisme (vidéo ci-dessous).
Donc, je n’aurai pas de photo de toucan (pas vu l’ombre d’un, devaient faire la grasse mat’ ou boire un café apporté au lit), pas de photo d’un jaguar, mais des singes, ça, tant que t’en veux… Dengue ou pas, ç’aurait été dommage qu’on loupe ça, tu ne crois pas ?
Laya Croves
Diaporama 1
Diaporama 2
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