INDEX

Patan

Feuilleton de l’été – Enfin le Tibet, jour 23

Le 17 Août. 2018

Les ruines de Patan et la Kumari…

Peu à peu le groupe s’était réduit. Certains avaient déjà pris l’avion de retour, d’autres faisaient un ultime shopping dans le quartier Thamel avant de rentrer. Ils n’étaient plus que 8 à continuer le « pèlerinage ».


Patan
Patan

Aujourd’hui, était prévue simplement la visite de Patan, l’ancienne ville royale, autrefois capitale et ville d’art (pour les Newars notamment). Avec l’agrandissement de Katmandou, difficile de différencier Patan, simplement séparé de la capitale népalaise par la rivière Bagmati.

Ville Newari donc, la cité accueillait aussi son village tibétain.


Patan

On racontait que Patan était la plus vieille cité bouddhique de toute l’Asie. Le palais était magnifique même si on se lamenta devant le nombre incroyable d’échafaudages, signifiant la reconstruction en cours après les absolus ravages du tremblement de terre de 2015. Les vendeurs de rue qui parlaient à peu près toutes les langues, et dans un espagnol presque parfait, leur expliquèrent que l’argent manquait. Toute l’aide avait été envoyée aux gouvernements, aux ONG, mais eux suppliaient :

« Pour nous, seul le tourisme aide vraiment, c’est de l’argent qui nous arrive directement, s’il vous plaît, dites aux gens de chez vous de venir en voyage ici, s’il vous plaît… »

Là encore, on ne s’éloignait pas du thème du pèlerinage puisque Patan fut un énorme centre d’enseignements bouddhiques.


On en était là des réflexions, se rendant à pied au centre-ville, lorsque le guide et le maître mexicain (équivalent en Amérique latine de notre Mathieu Ricard français) avisèrent un patio abritant un stoupa.

C’en était reparti pour une longue explication détaillée de l’art des Newaris, la proportion d’hindouistes et de bouddhistes parmi eux, lorsque le guide, plus pâle qu’à l’accoutumée, attrapa leur maître par l’épaule, lui intimant l’ordre de se taire. Encore un peu traumatisés par les « chinoiseries » au Tibet, tout le monde se figea.


Kumari : Fenêtre
Kumari

Le guide, d’un naturel joyeux et rieur, semblait avoir perdu de sa superbe et montrait obstinément une fenêtre à l’étage, derrière le rideau de laquelle, deux grands yeux noirs les observaient.

Le guide, qui ne lâchait plus la fenêtre des yeux se mit à expliquer :
« C’est la Kumari, c’est la Kumari, de toute ma vie, je n’en ai jamais vue une en dehors des cérémonies officielles, c’est incroyable, incroyable, vous l’intéressez. »
Le maître renchérit :
« 
J’ignore ce qu’il se passe avec ce groupe, mais on n’en finit pas, c’est spécial, vraiment très spécial ».

Elle se souvint un jour avoir vu un reportage sur les Kumaris. Ni plus ni moins que des déesses, ou réincarnations reconnues (32 critères de désignation, pas moins) de Vajrayoguini, disait-on.


Kumari

On les désignait quand sortait leur première dent, vers un an ou deux, et elles cessaient d’être des déesses le jour de leur première menstruation. De là, elles retournaient à une vie presque normale (bonjour le choc psychologique) sauf que personne n’acceptait de les épouser puisque la tradition jurait que celui qui les épousait mourait dans l’année suivant les noces. Personne n’avait osé essayer ! La Kumari ne se voyait qu’au moment de son intronisation, bébé, et quand elle cédait la place, vers ses 12 ou 13 ans. Le reste du temps, elles étaient enfermées, maquillées chaque jour selon un rituel bien particulier, et n’avaient pas le droit de fouler un sol devant des gens. Leur vie était celle d’une déesse vivante, faite de méditation et de rituels compliqués. Elles n’allaient pas à l’école, bref c’était juste les pires ennemies des Droits de l’Homme (qui avaient essayé d’en finir avec elles, sans succès, la tradition népalaise a la peau dure). En attendant, le rideau là-haut continuait de bouger, preuve qu’on les observait avec attention. Le guide, toujours à moitié paralysé de stupeur, dit alors :

« Vous devez être ses premiers étrangers, elle est intéressée, c’est un signe vraiment très, très auspicieux, vous avez un sacré karma, je vous assure, je vais demander une audience. D’après moi, elle doit vouloir vous voir de près… »

Ce qui s’ensuivit était difficile à raconter. La petite sœur de la Kumari jouait avec un téléphone sur les marches, pauvre petite qui n’intéressait personne. Elle se demanda comment cette enfant vivait tout cela. Et la Kumari accepta la requête de les recevoir avec empressement.


Kumari : Recevant le groupe

On prépara des offrandes sonnantes et trébuchantes, en étant toutefois prévenus :

« Si elle ne dit rien, parfait, votre vœu se réalisera ; si elle se met à pleurer ou à rire bruyamment, la maladie et la mort s’approchent. »

Après s’être déchaussés, et avoir grimpé les marches branlantes d’un escalier déglingué dans un immeuble insalubre, ils se retrouvèrent face à l’enfant. Assise sur son petit trône de rien, rideaux tirés, dans une semi-obscurité, elle était vêtue de soieries, couverte de bijoux qui semblaient trop lourds pour son corps d’enfant de 4 ou 5 ans, et maquillée comme une voiture volée.


Kumari : Sœur

Ses yeux ! Ses yeux profonds, d’un noir de jais, maquillés, vous pénétraient. C’était surprenant. Elle ne parlait pas, ne souriait pas, ne riait pas (même si on avait bien compris que c’était mieux ainsi !). Incongru sérieux dans un visage de gamine. Les uns après les autres, ils vinrent s’agenouiller devant elle, lui offrir quelque chose, attendre qu’elle leur touche le front avec une cire rouge sombre, et les dévisage avec un mélange d’intérêt, de compassion, et peut-être de surprise. En voyant la plupart émus aux larmes, elle ne réagit pas. Il semblait juste qu’elle soit en train de murmurer des mantras.


Kumari : Entrée

Plusieurs fois, elle arrima son étonnant regard au sien. Dérangeant. Autre cadeau, elle permit d’un signe de la tête qu’on la prenne en photos. Mais on n’osait pas. Trop remués pour se souvenir de comment s’utilisait un objet moderne… On sortit de là en véritable état de choc, hagards. Et il fallut improviser plus tôt que prévu la pause déjeuner, avant d’aller visiter Patan.


Patan
Patan

Ce qu’ils venaient de vivre, là, c’était hors du temps, hors de toutes les connaissances, des raisons, des cartésianismes, loin aussi des Droits de l’Homme, certes. C’était en même temps dérangeant, irrationnel, et carrément incroyable. Le genre de souvenir émotionnel qui vous poursuivait longtemps, longtemps. Et dire qu’on avait cru tout voir et vivre au Tibet ! Même le fantôme de Gyantsé fut relégué au grade de petit souvenir un peu émoustillant mais pas plus.

Dans le match émotionnel Kumari/Fantôme tibétain, la Kumari venait de gagner haut la main…


 


 


Diaporama 1 – Patam

 


Diaporama 2 – Patan et Kumari

 


 

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *