1 – La pluie est une compagne pleine de délicatesse. Elle veille à ne pas tomber lorsque je sors de chez moi, lorsque je ferme à clé le portail, le vélo appuyé contre moi. Elle attend, avant de se manifester, que j’aie roulé quelques kilomètres, la traversée d’Angaïs par exemple. D’abord, c’est une bruine sans densité, un brumisateur qu’elle passe sur mes avant-bras, sur le sac de guidon, sur mes mains serrant les cocottes. Elle est alors la bienvenue, un coulis sur ma poire.
Puis sa présence se fait plus tapageuse : des gouttes s’écrasent soudain sur le goudron, sur mon cadre. Certaines d’entre elles restent suspendues quelques secondes sur le rebord du casque, juste devant mes yeux, avec cette agilité, cette folie rieuse dont elles font preuve quand elles sprintent, l’été, durant l’averse, le long des avant-toits. Puis elles se laissent tomber, d’un coup, à la façon d’un singe lâchant la liane à laquelle il était suspendu. L’averse maintenant crépite, mitraille la route, vide sur moi son sac de billes, et l’on passe de Cycling in the rain, à Singing Indurain. Je roule à bloc, j’affronte, grisé, la nature qui se déchaîne.
La pluie est une merveilleuse compagne, or, à la télé, ils ne cessent de la dénigrer. Le mec et le meuf de la météo lui cassent sans arrêt du sucre sur le dos. Leurs propos ne changent pas : quand il fait soleil, ils disent qu’il fait beau et, quand il pleut, assènent qu’il ne fait pas beau. Comme si la pluie était moche, comme si elle chantait faux. Qu’ils demandent donc à Gene Kelly si la pluie est laide et si sa voix est pourrie !
2
Roulant sous l’averse, je songe à Bernard Manciet, l’écrivain de la pluie. La pluie est présente dans ses romans, comme le vent l’est dans ceux de Giono. Une présence à la fois intrigante – elle n’est pas sans effet sur l’intrigue – et poétique. Créés en 1999 par Olivier Bois et sises au pied des Pyrénées, les impeccables Editions IN8 viennent de publier, en français, en un seul et même volume, sous le titre « Romans », trois romans de Bernard Manciet : « Le Jeune homme de novembre », « La pluie », et « Le Chemin de terre ».
Bernard Manciet, poète, romancier, dramaturge, auteur de nouvelles, écrivait en occitan. « Ma mère aurait parlé la pluie, j’aurais parlé la pluie », répondait-il à ceux qui lui demandaient pourquoi. Ces trois romans qui constituent une trilogie ont été traduits en français par Guy Latry et Sergi Javaloyés. La lande, celle qui nargue l’océan en brandissant sous son nez ces milliers de pins, est au cœur des romans de Manciet.
Mais je ne parlerai pas de trilogie « landaise », car Manciet, dois-je encore le rappeler, n’a rien à voir avec la littérature de terroir, cette sous-littérature dans laquelle la célébration béate du passé dispute la vedette aux clichés. Cette trilogie a pour héros, non un terroir, mais la terre, les hommes et les femmes qui l’habitent, l’affrontent et l’aiment, personnages que le soleil grise et que la pluie ensorcelle.
J’ai parlé de Giono, à propos de Manciet, tant la nature est présente avec son pouvoir et ses lois secrètes. S’agissant de la langue, à la fois dense et fluide, s’agissant de l’écriture elle-même, c’est à Gracq que l’on songe. Quant au réalisme magique, caractéristique de l’œuvre de Manciet, il est du même tonneau que celui de Miguel Angel Asturias, l’auteur de « Hommes de maïs ».
Christian Laborde
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