INDEX

Les dits du vendredi

Le 12 Oct. 2017

Le mal des ardents… regard de Christian Laborde

Christian Laborde avait beaucoup apprécié  « Trois langues dans ma bouche » , le premier roman de l’écrivain bayonnais Frédéric Aribit. Laborde est formel : le second est aussi bon. Son titre : « Le mal des ardents ».


Un beau roman

Photo: Melania Avanzato

Frédéric Aribit met en exergue à son nouveau roman, « Le mal des ardents », (Editions Belfond), quelques mots d’André Breton, ceux que l’auteur de « Poisson soluble » avait glissés en février 1927, sous la porte de Nadja : «  Il y a assez de gens qui ont mission d’éteindre le feu.»

Enfin ! Enfin un écrivain qui, s’interdisant aristocratiquement ces robinets d’eau tiède auxquels tant d’auteurs s’empressent de visser leurs bouches dociles, choisit d’étancher et d’entretenir sa soif en puisant à la source la plus secrète et la plus majestueuse : le surréalisme.

Placé sous le haut patronage d’André Breton et de Nadja, le roman d’Aribit, roman avec langue – un genre qui ne court pas les rues -, ne pouvait être que celui de l’errance, de la ville, du hasard – cette loi qui voyage incognito -, de la rencontre.

La rencontre a lieu page 16 : « Et puis elle est entrée. Et puis elle les a tous fichus par terre, mes chiffres ». Les chiffres en question sont ceux que « le Saint-Empire de la Statistique » loge comme autant de balles dans nos têtes et dans celle du narrateur, professeur de lettres à Paris.

Page 16, nous ne savons pas encore qui est « Elle ». Mais nous devinons qu’avec « Elle », les chiffres vont morfler, les boussoles perdre la tête, et les algorithmes devenir fous. « Elle », c’est juste une consonne et deux voyelles : Lou. Lou, – empruntons leur langage aux pilotes de Canadair ! -, c’est un départ de feu !

La créature « à la chevelure de feu de bois » dirait André Breton, ne suit pas les modes : elle impose la sienne. Et notre narrateur qui jusqu’à ce jour faisait la loi au moins dans sa salle de classe, est désarçonné, se jette comme un fou dans son sillage de feu. Lou parle comme le ferait une fée. Il l’écoute, l’interroge et, ce faisant, multiplie les maladresses : « Mes questions tombaient à plat, je me sentais ridicule, honteusement prosaïque, moi le prof de lettres, avec mon cartable et mes livres et mes misérables interrogations de carte d’identité, d’inscriptions administratives, mes navrantes préoccupations de bureaucrate, devant l’inouï qui transfigurait la nuit dans le sillage de ses pas ».

Que fait Lou ? Elle joue du violoncelle. Que porte-t-elle ? Soit rien, soit un imperméable jeté sur son corps nu. Il l’écoute, ils se voient, ils s’aiment, elle sème le désordre à la terrasse des cafés, il fonce retrouver ses élèves, consultant entre deux cours les selfies érotiques qu’elle lui envoie. Difficile, dans ces conditions, de mobiliser son esprit et d’enseigner la poésie grecque.

Lou est musicienne, Aribit aussi. A la bande-son mêlant Tchaïkovski et Yes en concert au stade Aguilera ,à Biarritz, s’ajoute la musique des mots, des phrases, le beat d’Aribit, les percussions syllabiques, entêtantes, primitives nées de la contemplation et de la possession du corps de Lou.

Corps possédé, oui, durant l’étreinte, mais corps également possédé par un étrange feu qui mène Lou de la chambre où elle attend son amant à celle d’un hôpital où elle atterrit, « agitée de tremblements incontrôlables ». De quoi Lou souffre-t-elle ? Son amant va se transformer en inspecteur Colombo pour le découvrir.

Quête et enquête, « Le mal des ardents », est un beau roman, une romance d’aujourd’hui, un poème en prose. Aribit est un vrai lascar syllabique : il brandit ses mots, refuse d’abdiquer.

 

Christian Laborde
www.christianlaborde.com

 

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *