A Pau, La Pente est peinte, et le restera tant que la pluie, les orages d’été, et le passage incessant des voitures ne viendront pas à bout de ses lettres de 1m20 de haut chacune. Une intervention artistique et monumentale – 515 mètres de long, 3800 mètres carrés de surface -, conçue par Perrine Saint-Martin, designer graphique et son escouade d’étudiants de l’Ecole Supérieure des Arts des Pyrénées.
Sur l’asphalte de l’avenue Napoléon Bonaparte transformée en portion d’Aubisque, religieusement peint, un chapelet de noms. Ceux, non des Saints, mais des Géants qui, de 1930 – Alfrodo Binda -, à 2017 – Marcel Kittel -, s’imposèrent à Pau durant le Tour de France. Et sur ces noms légendaires parmi lesquels figurent ceux de Charles Pélissier, Roger Rivière, Federico Bahamontes, Bernard Hinault. Et sur ce chapelet de noms synonymes d’exploits et de coups d’éclats, le peloton 2017, en route pour Peyragudes et amené par Christopher Froome, aura roulé. Les murs ont des oreilles, dit-on. A Pau, on sait pourquoi. Les murs écoutent ce que La Pente est peinte raconte.
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A Pau, La Pente est peinte, œuvre éphémère, et, à deux pas d’elle, Le Tour des Géants, site à ciel ouvert, composé de totems jaunes. Chacun raconte un Tour. Dans les instants précédant le départ de l’étape Pau-Peyragudes, Christopher Froome est venu dévoiler le totem 2016 célébrant sa troisième victoire dans la Grande Boucle. Christopher Froome est arrivé sur son vélo noir. Je l’attendais, au pied du totem, le micro à la main, comme un tomahawk. Christian Prrudhomme m’avait demandé en effet de lire à Christopher le texte écrit sur le totem. J’ai fait sonner mes syllabes, ce fut mon slam pour Christopher :
Tour de France 2016
Christopher Froome (Grande Bretagne)
2 juillet – 24 juillet
3519 km
Moyenne du vainqueur : 39, 571km/h
Le Tour de France s’élance du Mont Saint-Michel et des plages normandes où l’Histoire dispute la vedette à la Beauté. Le vélo fait tout sauf tache dans un semblable décor : n’est-il pas, avec ses rayons, un concurrent du soleil ? Quant à l’Histoire, elle fut écrite aussi par des champions devenus résistants, comme Bartali. L’histoire, en 2016, c’est Mark Cavendish. Les experts le disent vieux. Mais, à Utah Beach, le Cav’ se rebiffe et met des baffes à tous : à lui le maillot jaune. Maillot que Peter Sagan, showman et champion du monde, lui ravit à Cherbourg. Du côté de Luchon où Merckx devenait le Cannibale, Christopher Froome se transforme en souris, grignotant les secondes, augmentant son avance sur ses rivaux lors d’une descente acrobatique du Peyresourde. Les Pyrénées franchies, la grêle andorrane essuyée, Froome se présente au pied du Ventoux. A deux bornes de l’arrivée, il chute, se relève, abandonne son vélo brisé, et, tel Abébé Bikila, poursuit sa route en courant, élégant, stylé, nourrissant la légende. La légende étant insatiable, Romain Bardet se lance dans un raid époustouflant et s’impose au sommet de Saint-Gervais-Montblanc. A Paris, Christopher Froome remporte son troisième Tour de France. L’entourent sur le podium, Romain Bardet, second, et Nairo Quintana, troisième.
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J’ai suivi l’étape Pau-Peyragudes dans une des Skoda rouges de la direction du Tour, la N°3. La France à 30 à l’heure, chère à Jacques Chancel auquel je pense chaque fois que le peloton traverse les Pyrénées.
Les échappés derrière lesquels nous roulons entrent dans la vallée de la Barousse, col des Ares, col du Menté, port de Balès. Les spectateurs sont agglutinés sur le bord de la route, joyeux, certains sont déguisés. L’un l’est en évêque, avec la crosse et tout le toutim. Il bénit les échappés qui auront bien besoin de l’aide de Dieu dans les derniers kilomètres du redoutable Balès. Car Balès, c’est pas de la balle, sauf pour les grimpeurs.
Devant une noble demeure dont l’antique portail est fermé, une dame âgée, assise sur un fauteuil en osier, regarde passer les coureurs. Elle porte une jupe claire, un chemisier ivoire, satiné, orné d’une broche. La dame âgée porte également un chapeau. La dame âgée de la Barousse a tenu à s’habiller, non parce que c’est jour de fête, mais parce qu’elle pense à Hugo Koblet, « le pédaleur de charme » dont elle était amoureuse. Il était beau, Hugo. Elle avait 17 ans. La dame âgée de la Barousse regarde passer les coureurs et sa jeunesse.
Christian Laborde