C’est leur cri aigre qui me fait lever les yeux vers le ciel froid, les voir : les grues.
Elles passent par vols successifs, et c’est, à chaque fois, la même plainte métallique, la même disposition en V. Et ce V n’est pas celui, mesquin, de l’homme fêtant une victoire, mais celui qui ouvre le mot vol ou que l’on croise au mitan du substantif avion. Il s’agit bien, dans le ciel, en effet, d’une succession d’escadrilles qui jouent avec le vent et se jouent de lui.
Aux commandes dans leur minuscule cockpit de plumes, les grues glissent dans l’air glacial, les ailes de l’une frôlant les ailes de l’autre, et leur adresse, leur maîtrise, la justesse des placements fait l’admiration des pilotes de la patrouille de France. Seuls, ici-bas, les parapentistes et, là-haut, les anges, goûtent un peu de cette enivrante joie que procurent aux grues leurs vols sans fin, sans freins, lorsque, écartant leurs ailes, elles plantent dans la ouate azurée du ciel, leurs têtes vissées au bout de leurs longs cous tendus.
Elles n’ont pas de bagages et, contrairement à nous, n’ont pas été fouillées avant le décollage. On ne leur pas demandé de s’enregistrer, d’ôter leurs souliers, de retirer leur ceinture. Elles n’ont jamais vu le moindre portique, croisé le regard méfiant de l’agent de sécurité zélé. Elles s’envolent dans un même élan spontané et puissant, pressées de confier leurs ailes, leur nuque, leur bréchet aux mains de ciel, impeccable kiné. Retapées, requinquées, elles se poseront ensuite sur des terres encore accueillantes, sous un climat encore clément.
Elles passent par vols successifs, et les bras du V qu’elles dessinent, s’ouvrent comme les bras flottants des danseuses du corps de Ballet, les bras sans attache, perpétuellement suspendus, ivres de grâce de la danseuse étoile en son solo. Leurs bras s’ouvrent comme s’ouvraient aussi, à la télé, dans l’indicatif de l’émission littéraire « Italiques », les pages des livres et les bras du petit bonhomme dessinés par Folon et que semblaient poursuivre les notes éparpillées de la musique d’Ennio Morricone.
Le petit bonhomme disparaissait, Max-Pol Fouchet, apparaissait à l’écran et disait quelques vers de René-Guy Cadou, extraits de « Au pied du mur » :
J’écris pour me sauver
pour sauver ce qui reste
un bourgeon de soleil oublié sur ma veste
une main reconnue qui se fond dans ma main
et les géographies tremblantes des chemins.
C’est leur cri aigre, qui me fait lever les yeux vers le ciel froid, les voir : les grues.
Christian Laborde
www.christianlaborde.com
Je découvre grâce à Jean Charles.
Excellent!!!
Merci
C’est beau, c’est émouvant comme mes amies les grues, bravo!
MGR